"Le problème de coup d’État est aussi un problème de maturité démocratique"
Mali, Guinée, Burkina Faso… les coups d’Etat militaires refont surface au Sahel.

Oumar Sidibé, dans une interview accordée au journal du Mali, a partagé son point de vue sur les raisons de leur recrudescence.
Journal du Mali : Depuis son indépendance l’Afrique a connu une centaine de Coups d’État, quelles sont raisons selon vous ?
Oumar SIDIBE:
Il est très difficile de mettre tous ces coups d’État dans le même panier. Il faut procéder au cas par cas, car les coups d’État se ressemblent dans leur mode opératoire, mais ne se déroulent ni dans les mêmes conditions ni pour les mêmes intérêts.
Depuis 1952, l’Afrique a connu un peu plus de 200 coups d’État.
SI je me réfère aux études de l’université de Kentucky et de l’université centrale de Floride, entre 1960 et 1999, il y a eu un peu plus de 158 projets de coup d’État en Afrique. 82 ont réussi et 76 ont échoué.
À partir des années 2000, cette tendance a fortement changé. D’abord parce que le nombre de tentatives a diminué, et ensuite parce que les coups d’État avaient plus tendance à échouer qu’à réussir.
Ainsi, de 2000 à aujourd’hui, il y a eu 23 coups d’État réussis, contre 26 échecs.
Et si j’ai bonne mémoire, le pays africain qui a enregistré le plus de coups d’État c’est le Soudan avec 17 tentatives dont 6 étaient réussis.
Journal du Mali : 60 ans après, ils persistent toujours. Comment le justifiez-vous ? Notamment au Sahel où le phénomène s’intensifie depuis 2020…
Oumar SIDIBE :
Vous savez, le problème de coup d’État est aussi un problème de maturité démocratique. Tous les coups d’État se font avec la promesse d’un lendemain meilleur. Mais permettez-moi de vous répondre par une autre question.
En 60 ans d’indépendance et avec autant de coups d’État, quel développement avons-nous atteint ? Les coups d’État engendrent des instabilités et aucune nation ne peut se développer dans un environnement de chaos et d’instabilité politique. Vous comprenez ?
Les coups d’État font partie des problèmes de l’insécurité et du faible niveau de développement de notre continent.
En ce qui concerne la situation du Sahel, elle répond aussi au constat que je viens d’évoquer, mais il y’a une particularité.
D’abord parce que depuis 2012, et peut-être même bien avant, les régimes successifs malgré leur engagement, n’ont pas pu apporter une réponse satisfaisante à la question du terrorisme, mais aussi de l’insécurité grandissante de manière générale.
Dans le cas du Mali par exemple, il y avait sous le régime IBK, des problèmes de gouvernances qui touchaient à plusieurs secteurs, l’éducation, la santé, la sécurité… Vous vous rappelez certainement les massacres successifs de civils et militaires maliens par des terroristes, et le choc que cela eut sur l’opinion publique malienne.
Ceci a conduit à de nombreuses manifestations puis à une forme de révolte populaire contre le régime qui peinait à trouver des solutions.
Et je vais vous faire remarquer une chose. Chaque fois que le peuple se révolte pour des raisons sociopolitiques ou sécuritaires, dites-vous immédiatement que l’armée en partie ou dans sa majorité est mécontente de la gouvernance. Et c’est ce qui est arrivé au Mali. L’armée est intervenue après des mois de manifestations populaires exigeant la démission du pouvoir.
Il y a plusieurs éléments à prendre en compte quand vous définissez un coup d’État. Et là encore il faut faire attention aux amalgames.
Un coup d’État c’est le renversement d’un régime légitime et élu, de façon illégale par des civils ou des militaires… Ce n’est pas autre chose. Un coup d’État est le trait d’union entre deux acteurs. Ceux qui font le coup d’État contre ceux qui sont légitiment au pouvoir.
Or, dans le cas de la Cote d’Ivoire par exemple, parler de Coup d’État civil est une exagération. Dire qu’il y a eu un 3e mandat par contre est un élément factuel, qui résulte d’une situation particulière sur laquelle le peuple ivoirien s’est déjà prononcé par le vote.
Par conséquent, parler d’un coup d’État civil de Ouattara en Côte d’Ivoire, ça, c’est de la manipulation ou de la politique. Moi je ne fais ni l’un ni l’autre.
Journal du Mali : Les putschistes, selon les pays, justifient leurs actes par l’insécurité et/ou la mauvaise gouvernance. Avec cet état de fait, faut-il craindre pour des pays qui font face à ces situations ?
Oumar SIDIBE :
Il faut observer le peuple, jauger leur niveau de satisfaction ou d’insatisfaction de la gouvernance, et vous saurez mesurer s’il y a des risques de coups d’État ou non.
Hélas comme on a pu l’observer, chaque fois qu’il y a de fortes demandes populaires, une grogne sociale, et que le gouvernement a mauvaise presse auprès de sa population, la tentative de coup d’État n’est pas loin.
Journal du Mali : Quelles conséquences ils peuvent avoir sur le développement d’un État ?
Oumar SIDIBE :
Un coup d’État est un acte de rupture de la gouvernance. Or la gouvernance doit être une continuité. Les coups d’État engendrent des instabilités politiques, mais aussi économiques, pour la simple raison que personne n’investit dans un pays politiquement instable. Les coups d’État sont intrinsèquement opposés au développement durable d’un pays. Dans le cas de la zone CEDEAO, ils sont systématiquement sujets à des sanctions. Et ces sanctions affectent le pays et les populations…
Mais je pense qu’il y a une question encore plus essentielle. Comment limiter, sinon mettre fin aux coups d’État. Il faut sacraliser la démocratie.
Cela veut dire que les dirigeants au pouvoir ne doivent pas monopoliser le pouvoir. Qu’ils doivent partir au bout du mandat prévu par la constitution, que les élections soient transparentes, que la liberté d’expression soit respectée, et que la justice ne soit pas l’objet d’instrumentalisation. Il ne faut pas négliger ces éléments. Car violer ces principes crée des frustrations. Il faut impérativement garantir la démocratie. Et c’est au peuple d’y veiller.
Ceux qui disent que la démocratie est une invention européenne se trompent. L’Afrique a connu la démocratie des siècles avant la colonisation et ça marchait ! Cela est historiquement démontré.
En entendant de trouver mieux, il faut s’efforcer d’éviter de nouveaux coups d’État, reconnaitre que la démocratie est un fait de l’Homme tout court, et demeure de loin, le modèle le plus acceptable pour vivre en société, dans le respect de l’autre.